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La critique de cinéma sur Internet - épisode 7 : interview / Critikat

Publié par Les Nouveaux Cinéphiles sur 8 Mai 2015, 15:15pm

Catégories : #Petites confidences, #News

La critique de cinéma sur Internet - épisode 7 : interview / Critikat

A l'occasion des 10 ans du blog, découvrez un feuilleton d'entretien avec ceux et celles faisant battre le coeur de la critique de cinéma sur Internet. Pendant 10 semaines, nous vous proposerons un entretien avec des blogueurs et des fondateurs de sites cinéma.

Pour ce septième épisode, rendez-vous avec Clément Gr
aminiès, fondateur de Critikat

Quand et pourquoi vous est venu l'idée de la création de Critikat ?

J’ai eu l’idée de créer Critikat au cours de mon DEA en 2004-2005 que je faisais à l’Université Paris 8 Saint Denis. J’étais frustré de terminer mes études de cinéma et de ne pas avoir constitué une communauté de pensée.

Ce qui m’intéresse, c’est l’interaction, c’est apprendre des autres, c’est réfléchir ensemble sur le cinéma. Je ne suis pas vraiment fait pour la recherche, pour faire une thèse, être tout seul dans mon coin. Devenir un rat de bibliothèque, ce n’était pas du tout ma tasse de thé. J’avais envie de continuer d’échanger, d’interagir avec d’autres passionnés du cinéma. Et à la sortie de mes études, j’ai senti que la fac n’allait pas me permettre de constituer ce petit groupe, ce groupe référent, et qu’il allait falloir que je le créé de moi-même.

C’est là qu’est né l’envie de créer un site Internet de cinéma. Au départ, on s’était fixé un projet éditorial, mais on n’avait aucun objectif, on ne savait pas ce que ça allait devenir précisément. Mais l’idée était de répondre à une envie d’écriture et de partage, de nos impressions, de notre approche de cinéma avec les lecteurs. J’ai profité d’une opportunité technique. Il y avait un ancien étudiant avec moi à Paris 8 qui faisait une reconversion, une formation webmaster et qui avait besoin pour valider sa formation de créer un site internet. Cette opportunité était du pain béni.

Est ce que le site a beaucoup changé depuis sa création ?

On en est à la 3e version aujourd’hui. La dernière version est en ligne depuis un peu plus d’un an.


La ligne éditoriale a-t-elle changé depuis le lancement ?
Oui parce qu’elle s’est enrichie au contact des rédacteurs qui sont venus rejoindre le projet. C’était exactement ce que je voulais.

J’ai fondé ce projet en ayant une connaissance du cinéma, des affinités envers certains genres cinématographiques. J’avais 25 ans. Il y avait beaucoup de genres que je connaissais très mal, sur lesquels j’aurais absolument pas été compétent pour écrire, et la ligne éditoriale s’est enrichie au fur et à mesure que des rédacteurs ont rejoint l’équipe. Ce qui nous a permis presque d’avoir un spécialiste pour chaque genre. Ce qui nous a donné assez rapidement, je pense, une vraie crédibilité, pour parler de genres cinématographiques très différents. Ils étaient en mesure de convoquer les bonnes références et d’analyser, d’appréhender ces films sous un angle pertinent.

Comment définiriez-vous la ligne éditoriale ?

Ce n’est pas toujours évident de définir un projet éditorial quand on est une équipe de 30 rédacteurs avec des sensibilités différentes. Ce qui m’importe, mais qu’on n’arrive pas toujours à respecter, c’est l’idée de la transmission. On est presque dans un positionnement pédagogique, sans non plus tomber dans le didactisme un peu trop lourd.

Déjà, c’est de prendre en compte les lecteurs, d’avoir pour volonté de leur transmettre quelque chose, de partager quelque chose avec eux.

On identifie notre cible lectrice comme des gens s’intéressant au cinéma, mais qui se posent des questions par rapport à la mise en scène, et n’ont pas nécessairement les outils pour pouvoir déconstruire un film. Soit parce qu’ils n’ont pas fait d’études de cinéma, soit n’ont jamais lu de bouquins théoriques, Bazin, Deleuze. Ce qui ne les rend pas moins intéressés par la question. Du coup, leur proposer des textes qui leur permettent de nourrir leur regard.

Il y a un positionnement quasi politique, de dire à nos lecteurs qu’une image n’est jamais neutre, une mise en scène relève toujours d’un part pris, c’est une vision. C’est la vision d’un cinéaste. Qu’est ce que cette vision dit. Nous spectateurs, il faut qu’on soit actifs et engagés par rapport à ce que nous proposent les films. Ca définit beaucoup la manière dont on va aborder nos écrits, nos articles. On demande à nos rédacteurs justement d’avoir cet engagement vis à vis du lecteur, au travers de leurs articles d’entamer un dialogue avec le film dont ils parlent. Et pas seulement de recevoir les images, de restituer les intentions du réalisateur et de ne pas prendre d’ascendant par rapport à tout ça.

Combien de personnes animent le blog ? Comment fonctionnez-vous pour animer le site ?

Aujourd’hui, je dirai qu’on est une trentaine de rédacteurs. Certains écrivent beaucoup plus que d’autres, selon les disponibilités de chacun. On est tous bénévoles, c’est aussi pour ça qu’on est nombreux. On s’est posé beaucoup de contraintes éditoriales dans le sens où l'on offre une couverture assez importante de ce qui sort en salles. On propose les articles généralement la veille du jour de sortie des films.

On a vraiment une discipline comme si on était un hebdomadaire ; on donne rendez-vous à nos lecteurs. On sait que nos lecteurs nous attendent. Ces contraintes d’organisation nous obligent à être nombreux. Je ne peux pas imposer aux rédacteurs d’écrire s’ils n’ont pas le temps, s’ils ont d’autres priorités. On essaye de fonctionner sur un principe de juste répartition des films.

L’idée est que cette collaboration doit rester pour chaque rédacteur un plaisir et essayer le moins possible de nourrir d’éventuelles frustrations. On essaye d’avoir un fonctionnement fluide et transparent. Et surtout on fait un vrai retour sur les écrits des rédacteurs. Un texte, lorsqu’il est publié, a d’abord été relu par un comité de relecture et peut avoir fait l’objet de demandes de correction ou de réécriture si c’était nécessaire. Les rédacteurs, dans l’ensemble, l’apprécient car on le fait toujours dans un dialogue. Ce n’est pas autoritaire, on ne coupe pas les textes sans en informer les rédacteurs. On ne réécrit pas derrière eux, c’est vraiment le rédacteur qui reste maitre du texte qu’il propose, mais tout ça doit s’inscrire dans un échange et une autocritique.

A l'image d'un magazine comme Positif, qui organise des comités éditoriaux avec ses rédacteurs bénévoles, avez-vous vous aussi des moments où vous pouvez échanger dans la "vraie vie" ?

Oui, car déjà, on encourage les liens entre rédacteurs. Certains d’entre eux sont très amis, se sont connus sur Critikat. On a même eu un mariage Critikat ! Plus sérieusement, on a une réunion de rédaction tous les trimestres. C’est une réunion assez formelle où l’on aborde vraiment la vie du site, ses développements, son évolution. On débat aussi parfois de questions éthiques : est-ce qu’on accepte la publicité, quels types de publicité ? Est-ce qu’on repense ensemble la manière dont on présente nos articles ? Par ailleurs, tous les mois ou tous les deux mois, on fait un pot dans un bar. C’est informel. On parle de ce qu’on veut.

On a un enregistrement mensuel de podcasts aussi, qui permet à 4-5 rédacteurs de se retrouver, de débattre de films sortis les précédentes semaines.

On a un ciné-club également tous les mois, qui se déroule au Trois Luxembourg, qui permet à un rédacteur de présenter un film et d’animer une discussion, notamment avec d’autres rédacteurs du site.

On a des festivals aussi auxquels on participe activement, où l’on a de vraies délégations "critikatiennes" : au Cinéma du Réel, à Cannes, à Venise, à Locarno, à Brive, à Clermont-Ferrand... Sur Cannes, ça peut monter jusqu’à 8-9 rédacteurs qui assurent une couverture assez riche du festival.

Pensez-vous qu'internet est le nouvel eldorado de la critique / journalisme cinéma ? Pourquoi ?

Dire que c’est un eldorado, oui et non. J’ai pu créer Critikat grâce à l’existence d’Internet bien évidemment. S’il n’y avait pas eu Internet, je n’aurai jamais pu créer un projet de cette envergure. Je ne me serais peut être jamais impliqué dans la critique cinématographique. Critikat m’a offert cette opportunité, comme elle a offert l’opportunité d’écrire et d’être lu par beaucoup de personnes qui n’auraient peut être pas voulu se battre pour décrocher un poste dans une rédaction. Surtout, je trouve qu’elle permet à des gens de talent d’écrire des textes, sans forcément se définir professionnellement comme critique de cinéma. La critique peut être une étape, une transition. Certains de nos rédacteurs se sont ensuite dirigés vers la réalisation, l’écriture de scénario ou vers d’autres projets professionnels… Si la légèreté du dispositif qu’offre Internet n’existait pas, peut être que ces personnes n’auraient jamais proposé de textes sur cette période. Certains de ces textes comptent parmi les plus riches et les plus intéressants de Critikat.

Après l’eldorado, si on veut penser la critique cinématographique comme un métier, aujourd’hui, Internet est en train de le tuer. Nous, on fait ce travail bénévolement. Nous n’avons pas de modèle économique qui nous permette d’être rémunéré. Avant, critique, c’était un métier. On pouvait rentrer dans une publication, un journal, avoir un CDI, un salaire. Aujourd’hui, les places sont extrêmement chères car la presse papier se porte mal. Elle est plus dans des plans de licenciement que des plans d’embauche. La disponibilité d’articles de qualité en libre accès sur Internet ne va pas encourager la pérennisation d’un modèle économique qui permette d’en faire vraiment un métier.

Quelles revues critiques (papier, web, radio, télé) avez-vous l'habitude de lire ?

Il y a quelques années, je lisais beaucoup de revues : Positif, Les Cahiers du cinéma… Je suis encore abonné aux Cahiers. Dans mes jeunes années, je lisais Télérama aussi.

Je trouve le paysage critique actuellement pas particulièrement enthousiasmant. Je trouve qu’il n’y a pas de pensée forte qui en émerge. Je peux inclure Critikat dans cette accusation là. Je trouve que ça manque presque de manifeste qui tienne la route. Pas des manifestes qui sont lancés uniquement pour adopter une pose et vouloir se distinguer des autres, mais qui marque un véritable engagement. Ca fait quelques numéros que je trouve que le virage pris par Les Cahiers du cinéma est absolument catastrophique.

Et pour la revue Positif, le problème pour moi est qu’elle est animé par des universitaires. Et c’est quelque chose que j’observe quand on a des universitaires qui viennent écrire sur Critikat, je trouve qu’il est très difficile de s’affranchir d’automatismes liés à la recherche pour pouvoir adopter un vrai regard critique sur un film. Souvent les chercheurs font plus de l’analyse que de la critique. Ce qui fait qu’on les cherche un peu dans leurs textes. Ils sont un peu cachés derrière leurs arguments et ça manque d’engagement. Ce n’est pas forcément évident pour quelqu’un qui a été façonné par la recherche d’accepter de se montrer davantage, de s’impliquer davantage dans l’exercice d’un texte critique. Le problème de Positif est que ce sont des gens qui ne sont pas formés à cet exercice critique. Ce qui fait que leurs pages analyses, leurs dossiers, sont vraiment intéressants. En revanche, je trouve leur cahier critique catastrophique. En plus, ils ont approche du scénario, ils n’ont pas une approche de l’image, ou du moins pas assez.

Donc non, je ne lis pas grand chose, il n’y a pas grand chose qui m’enthousiasme. Quelques articles de Chronicart parfois. En plus, on a des rédacteurs de Critikat qui y sont allés.

Y a t-il un blog méconnu que vous aimeriez faire connaitre via cette interview ?

Le site Débordements propose des choses intéressantes, même s’ils sont parfois un peu à côté de la plaque. Ils ont des textes pas du tout consensuels, très marqués. Ils adoptent des points de vue critiques très forts, très radicaux.

Quel est votre film de chevet ?

Je dirais Mouchette de Robert Bresson. Ca a changé beaucoup de choses sur mon regard sur le cinéma.

Qu'est-ce qui a déclenché chez vous l'envie de faire de la critique ?

Si je réponds très sincèrement, je pense être un peu fétichiste des films, et d’une certaine manière d’écrire sur les films, c’est avoir l’illusion un peu de les posséder. Je crois que c’est ça qui m’a attiré dans l’exercice de la critique cinématographique : une fois le film terminé, je ne lui dit pas tout à fait au revoir. L’écriture d’une critique me permet d’établir un lien permanent avec lui.

--> Découvrez Critikat

Voir les autres épisodes :

Episode 10 --> Films de Lover

Episode 9 --> Sur la route du cinéma

Episode 8 --> Accreds

Episode 6 --> Le Bleu du miroir

Episode 5 --> Le Passeur critique

Episode 4 --> Cinesthesia

Episode 3 --> Pop and Films

Episode 2 --> Film de Culte

Episode 1 --> In the mood for cinéma

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